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“la nuit éclaire la nuit” 
un film de lo thivolle
Avant propos concernant le titre

« Je cherche à fouiller pour savoir ce que nous sommes  et comprendre ce qui nous tourmente"

 

C’était une nuit et un jour,

en feuillettant l’ouvrage de Roland Barthes, ” Fragments d’un discours amoureux”, je suis tombé sur le chapitre “Et la nuit éclaire la nuit”. P.203 de l’ouvrage, je recopie quelques lignes qui m’ont nourri

NUIT: Tout état qui sucite chez le sujet la métaphore de l’obscurité (affective, intellect-ive, existentielle) dans laquelle il se débat ou s’apaise.

Le plus souvent, je suis dans l’obscurité même de mon désir : je ne sais ce qu’il veut, le bien lui-même m’est un mal, tout retentit, je vis au coup par coup : estoy en tiniebas*. Mais, parfois aussi, c’est une autre Nuit : seul, en position de méditation, je pense à l’autre calmement, tel qu’il est : je suspends toute interprétation; j’entre dans la nuit du non-sens; le désir continue de vibrer  (l’obscurité est trans-lumineuse), mais je ne veux rien saisir; c’est la Nuit du non-profit, de la dépense subtile, invisible : estoy a oscuras*: je suis là, assis simplement et paisiblement dans l’intérieur noir de l’amour.

*Je suis dans l’obscurité

*Je suis dans le noir

Il y a un homme sur un banc, parfois en mouvement, toujours dans les rues qu’il habite comme une maison.
Il y a un homme toujours en mouvements, qui parfois se pose près du banc pour rencontrer le premier.
Souvent dans la nuit, surtout dans la nuit. L’un a une caméra pour rencontrer l’autre qui en prophète venu du Niger susite la métamorphose de l’un et l’autre, trouver une place juste et avoir juste une place.
Dans les nuits des rues toulousaine Boureima et Lo tissent un dialogue entre colonie et amitié.
Dans la parole mise en mouvement, les mouvements mis en parole « la nuit éclaire la nuit » et à deux, Lo et Boureima nous emporte dans ce qu’est être soi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                             la lune nous rappelle -extrait sonore de

                             “la nuit éclaire la nuit”

                             récupéré c-à-d pas dans le film ou peut-être

                             au début

 

Journal du film

Temps 0: Se cogner au réel et à soi

J’avais quitté Toulouse en 2004, aprés une tentative de reprise d’étude a la faculté de Toulouse en Sociologie. J’étais seul et c’est là ou nos solitudes se sont croisées. On a alors inventé le monde ensemble, mise en débat nos approches différentes. Puis le temps a passé et nous nous sommes perdus.

Je suis revenu a Toulouse en 2007 pour faire du cinéma, j’avais croisé J Rouch et un désir fort était né en moi. Mais a Toulouse, cela n’as pas marché l’école et moi. Alors j’ai erré dans Toulouse, sans amies, sans argent, sans logement avec un désir fort de cinéma qui me portait, me faisait tenir.

Et je t’ai croisé. Tu n’étais plus a la fac, tu étais sur ce banc au milieu de cette place publique, a regarder le monde en étant dedans. Je me suis alors assis sur ce banc et nous avons repris nos échanges passés.

Nous avons parlé de cinéma et j’ai sorti ma caméra. Avec toi, j’ai appris a faire des films.

2007, échanges avec Denis Gheerbrant

Lo bonjour,

Excusez le délai que je mets à vous répondre, mais vous conviendrez que votre courrier n’est de ceux auxquels on répond à la légère ! Evidemment vos questions m’évoquent bien des troubles par lesquels je passe encore bien souvent. Faire des images de la vie des gens est tout sauf naturel. Faire des images de gens qui vivent dans “l’invisible de la ville”, pour reprendre votre expression, est encore plus violent.

Pourtant la première violence c’est à vous même que vous allez la faire car aller aborder des personnes qui vivent dans ces conditions convoque plein de fantasmes. C’est sans doute déjà à ce niveau que vous pouvez travailler : pour quoi eux ? Dans quel fantasme de quelle humanité ? Y aurait-il un haut et un bas ? N’oubliez pas qu’à un moment c’est de votre peur d’y aller qu’il s’agit. Ceux que vous allez rencontrer se chargeront vite de mettre à mal toutes vos représentations et chercheront à vous en imposer d’autres, dans lesquelles vous-même aurez à vous repérer : le cinéma, comme la rencontre c’est à deux que ça se joue. Plus exactement c’est à trois, avec le spectateur qui vous empêche de jouer faux ou complaisant, qui porte l’exigence au nom de laquelle vous pourrez avoir un rapport pas “naturel” avec celui ou ceux que vous voulez filmer.

Et c’est précisément avec eux que va s’élaborer une morale du tournage.

Je ne vous connais pour ainsi dire pas, et le rôle de conseilleur, alors même que les questions que vous vous posez ne sont jamais résolues pour moi, m’irait assez mal. J’ai juste envie de vous dire que vos questions sont tout sauf vaines, mais elles peuvent être dangereuses si elles vous permettent de reculer devant l’obstacle.

Faire le film que vous voulez faire, sera en inventer la réponse.

Allez-y donc. Bonne chance et tenez-moi au courant.

Bien à vous.

Denis Gheerbrant

En 2009, en lisant un texte d’herzog sur le film les nains… j’écris pour moi:

 " Je vais vous donner un exemple : si vous frappez un chien, si vous le maltraitez, il arrive un moment ou le chien est amené à mordre. Et lorsque j’étais rentré d’Afrique, en septembre 1969, j’étais plein d’amertume, atteint par les maladies et heurté par les chocs et le désespoir. Dans ces conditions, les Nains aussi ont commencé petits, est devenu ainsi plus radical qu’il n’était prévu à l’origine. C’est un film malade, fait par un malade. Vous pouvez le constater. J’ai pensé alors que ce n’était plus du tout le moment de parler avec douceur et j’ai eu assez d’audace pour oser tout montrer jusqu’au bout. Ce film participe d’un désespoir tout nu. Ce n’est pas un film, c’est un cri au secours. IL a été réalisé en 1969, au sommet de la révolte étudiante. Tout le monde essayait de trouver quelque chose d’optimiste dans ces révoltes. Queqlues gauchistes dogmatiques m’ont dit : « Ce film est un film fasciste, parce qu’il montre une révolution ridicule, jouée par des nains et sans succès à la fin. Lorsque vous montrez la révolution, vous devez montrer la façon dont elle doit réussir. Le film ne le montre pas. C’est donc un film fasciste. » . J’ai répondu « Vous êtes aveuglés par le dogmatisme. Dans 10 ou 20 ans, nous reparlerons de ce film et vous verrez que vous vous êtes trompez ». J’ai ajouté que c’était un film anarchiste et très humain, car j’ai été tendre avec mes acteurs et mes personnages. »

Je crois qu’il y a des choses dans cette histoire avec Boureima qui venait du fait que j’étais dans un moment de profondeur abyssal, très seul, en colère, et faible…alors je soufrai aussi…et à coté de Boureima ma souffrance était autre. Est-ce qu’il me soignait, ou est -ce que parce que sa situation était plus dure, je relativisais la mienne…j’en sais rien…Ce que je sais c’est que jamais je n’avais prévu de vivre cela quand j’ai commencé le tournage. Je voulais faire quelque chose de simple et court, mais quelque chose m’a emporté et m’a envoûté. Quelque chose de l’ordre de lui et de moi dans ce que l’on vivait chacun et dans ce qui nous liait chacun. Et puis j’avais un profond désespoir dans la vie, dans l’homme… mais sur ce banc pourtant des éclats me ranimait…Tellement de paradoxe et de contradiction lorsque je pense à tout cela… 

Je crois aussi que j’ai toujours eu une forte fascination par cet homme, sa posture, sa droiture, le faite qu’il ne fasse rien et qu’il ne demande de l’aide à personne…Comme s’il était dans un geste nihiliste d’une radicalité profonde et violente…Comme cette image, que je n’ai que dans ma tête, ou il a neigé très fortement et tous les gens de la place s’étaient abrité. Boureima était resté sur son banc et petit à petit il disparaissait sous la neige… Quelque chose de lui très fort me fascinait… 

Temps 1 / Dialoguer sa matière, se confronter à sa réalité 

2013, échange avec Zoheir Mefti avant le montage

Zoheir : Le projet « Boureima » de par sa morphologie frénétique (plus de vingt heures de rushes qui s’étalent sur six ans de rencontres en images et en sons) constitue un repère décisif duquel il te sera possible d’observer avec la sérénité qui fait parfois défaut, tout le cumul d’émotions silencieuses le long de ta vie (éducation, état d’esprit familial sur fond d’histoires politiques, etc.)
Premier aspect : Tout d’abord, il est important de dégager le facteur déclenchant de ce projet : filmer ce jeune homme (indépendamment de la brutalité sociale qui l’a jeté à la rue un bac + 7 en bandoulière). Pour quoi faire ? Quel en est le « point aveugle » ? À quelles fins (s’il y en a) ?

Lo: Pour ne rien faire, pour sauver le monde, pour se sauver, pour crier son impuissance tout en essayant de ne « pas que l’être », impuissant. Pour pouvoir m’assoir sur le banc avec Boureima et rester avec lui, pour raconter une histoire, la nôtre et/ou une autre. 

Je revenais sur Toulouse pour « apprendre » le cinéma ayant été pris à une « école » de cinéma. C’est au bout de quelques semaines que j’ai revu Boureima, que j’avais perdue de vue après être parti de Toulouse. On s’était quitté là ou on s’était retrouvé, sur les bancs, mais ce n’était pas le même banc. Lui terminait sa thèse, moi j’abandonnais la mienne. 

Boureima me parlait souvent de cinéma, de Jean Rouch qui venait souvent à son village, de la question de l’image, etc, etc… J’ai commencé avec une bobine N/B 16 mm où tout est noir et l’on ne voit que moi avec mon écharpe jaune. Pour dire que le premier plan c’est moi et Boureima sur le banc et on s’échange la caméra 16 mm. Puis je suis parti au bout de 2 mois de l’école, et c’est le banc de Boureima, lui et ses acolytes qui m’ont accueilli. Et rapidement, après de long échange avec Boureima et les autres, j’ai sorti la caméra numérique. C’est dans cette dynamique que j’ai réalisé « Ici, » avec d’autres personnes qui m’ont amené ailleurs. 

Alors faire un film qui racontait quelque chose de lui, et de moi. Même si c’est lui le centre et même si moi j’ai toujours essayé de décentrer la chose car pour moi c’était aussi l’histoire de mon geste qui est à interroger.

Zoheir : Puis, quelle en fût la démarche ? À quel moment as-tu décidé de le filmer ? À quel moment a-t-il accepté de se laisser filmer aussi ? Lui seul et ses paroles apparaissent à l’image ou toi aussi ? Si oui, à quel moment tu as décidé d’entrer « dans le champ » ? Était-ce une volonté propre ? (Si oui, laquelle ?) Était-ce une volonté commune ? (Si oui, laquelle ?) Était-ce un geste qui s’est accompli d’un « commun accord » ?  (Si oui, quelle est la nature de ce compromis ?) 

Lo : Je l’ai re-filmé dés que je l’ai rencontré, sur ce banc. 1 mois aprés le premier tournage en 16 mm. La question de son acceptation à être filmé a été assez rapide. Assez rapidement l’idée de faire,
« ensemble », un film qui partirait de lui, de son banc à fais sens et il a dit « oui ». Je me rappel que souvent quand je revenais le voir, c’était lui qui me relançait en me disant « il faut que l’on se mette au travail pour le film ». 

Au début du tournage numérique il n’y a que Boureima sur son banc, à l’image. On l’entends parler mais on ne me voit pas. C’est toute la partie de tournage qui se passe sur la place… Je filme Boureima sur cette place… 

Puis au fil des mois, des amis l’aidant, il a quitté cette place pour aller passer tout son temps dans un hôtel duquel il ne sortait que peu pour ne plus sortir et ne plus retourner sur la place. A partir de ce moment là, nous sommes dans chaque image l’un et l’autre et l’un filme l’autre quand l’autre filme l’un. 

C’est aussi à partir de ce moment là que nous avons été nous promener dans la forêt a l’extérieur de la ville et là on se filme en super 8mm… et il me raconte son quotidien, dans lequel j’essaye de trouver une place. A partir de ce moment là, les choses sont devenues autres…un face à face plus dur je crois. 

Au début cela a été ma volonté propre d’être tous les deux dans l’image. Comme si je cherchais des manières de faire/formes de pensées qui puissent déplacer un face à face dans lequel je ne voulais plus être en partant de cette place. Puis Boureima l’a accepté mais il ne l’a jamais revendiqué plus que cela…On étaient tous les deux dans le cadre, on se filmaient mutuellement, on décidaient ensemble même si souvent c’était des propositions de ma part. Il est arrivé que ce soit lui qui en fasse. Au final cela est resté ma volonté propre que je sois dans l’image avec lui et il a accepté cette volonté. Mais des fois il était seul à l’image. Quand on dialogue, j’essaye de lui dire que je n’avais pas le désir de faire un film uniquement sur « son » histoire mais que je désirai creuser l’écart de l’image de son histoire et l’image de mon histoire. Il a toujours été d’accord tout en me rappelant que ce qui comptait c’était surtout l’image de « son » histoire. Il a terminé le tournage, à décidé de l’arrêté et à ce moment là je lui ai demandé si il avait pensé à un titre de film, il m’a dit que cela s’appellerait « l’histoire d’un homme ». 

Zoheir : Second aspect : Celui des « intentions » qui se profilent en amont de l’acte de discuter tout en filmant. Quelles sont-elles ? D’où viennent-elles ? De quoi se nourrissent-elles ? L’idée de ces questionnements que toi seul peux aborder de manière frontale et auxquelles toi seul dois y répondre avec l’exigeante intégrité morale qu’ils imposent consiste à « cracher » la matière du film. Une fois les éléments (tous les éléments, dits et non- dits) seront posés sur la table, un travail de collage s’imposera. Relier les éléments « manifestement éloignés » les uns des autres en vue de creuser le sens qu’ils font à l’insu de l’auteur (toi) au moment de leur donner vie. 

Lo : Alors, oui je pense que la question des « intentions », est la question centrale. J’ai navigué voire dérivé dans ce territoire des
« intentions ». Par moment je surfais sur la vague, à d’autres moments je coulais, puis je pouvais fuir ne sachant pas comment assumer le geste que je venais de faire, la parole que je venais de dire…la place que j’occupais. Eternelle bataille qu’a été ma place entre trouver une place juste et avoir juste une place. Alors des fois je filmais pour le sauver et des fois je filmais pour me sauver. Des fois je filmais pour rien. Et des fois mes intentions m’écrasaient alors j’arrêtais de filmer. 

Zoheir : Troisième aspect : Capital, je dirais – dans ce projet est cette « obsession » à suivre ce gars six ans durant jusqu’à ce qu’il mette lui-même fin au projet (peut-être a-t-il anticipé tes hantises au point de percevoir avec lucidité que ce qui se jouait là n’était aucunement le projet d’un film, mais.. « autre chose »). Qu’est cette « autre chose » ? Cette question sous-tend à son tour une autre question quant à la radicalité d’appréhender le contenu de ces 20 heures de rushes (hormis les souvenirs qui n’y figurent pas forcément et qu’il t’incombe de donner forme). 

Lo : Oui cette « obstination » est capitale… il y a cette « autre chose » qui m’a hantée et qui a été la source de mon obsession à poursuivre ce projet sans jamais pouvoir m’arrêter…qui signifiait le quitter, le laisser, l’abandonner. Je n’y arrivais pas, était-ce ma bonne conscience qui m’en empéchait ? Sûrement… et alors quoi faire avec maintenant… 

Lui m’a arrêté, et surement parce qu’à un moment ce qui se jouait était autre chose. À un moment nous avons eu une aide à l’écriture que nous avons partagé. Et ce moment est arrivé au même moment oÙ des
« gens de sa famille » sont venu l’aider à prendre une chambre d’hôtel et à reprendre les études. A partir de ces deux moments, et presque conjointement cela faisait sens d’arrêter car pour lui la chose s’était déplacée et qu’il était question de vie là où le cinéma n’avait plus place. Je me dis cela. Pourtant je voulais quand même être là pour voir, pour savoir ce qui allait se passer et j’avais mal de le laisser. Je pensais que j’étais important dans cette histoire. Alors j’ai arrêté quand même…accepter, quoi ? Que je n’étais pas grand chose, et que je ne pouvais pas grand chose dans cette
histoire ! Je ne pouvais l’aider Le sauver, alors par défaut je filmais… ? 

La question de la radicalité a appréhender ces 20 heures de rushs m’est encore problématique. Comment choisir ce qui doit être garder ? En fonction de quoi ? Non pas des meilleurs moments mais des écarts que ces moments nous donnent à ressentir/éprouver ? 

J’ai aussi le désir par le travail de montage, de m’éloigner de l’aspect documentaire classique que j’ai effectué au tournage. J’aurai aimé faire autre chose au tournage mais cela n’a jamais été possible car il affirmait une forte position en me demandant de documenter son réel et la transformation de ce dernier. Alors que je désirai tout
« dé-réaliser », et cela j’ai envie de me le permettre au montage. Mais qu’en sera t-il du possible ? 

Par moment j’ai envie de mettre des longs plans séquences que j’ai réalisé que je suis en face de lui et qu’il est assis sur le banc à me regarder, moi derrière ma caméra. 

J’interroge cette forte volonté qu’il avait que je « documente sa
vie » et cette forte volonté que je mis en place à répondre à cela en « documentant sa vie »… Donc il y a quelque chose du document dans cette aventure. Mais alors, quel est le lien entre le cinéma et le document… ou comment faire que cela fasse sens. 

 

2014, Echange avec Caroline Beuret durant le dérushage

Caro : C’est très particulier cette manière que tu as de le prendre tel quel pour sonder quelque chose de profondément obscur. Tu dis que tu voudrais dé-réaliser le banc, emmener ailleurs ces images que lui définit comme la zone, que c’est ce que nous voyions le plus, que c’est costaud de chercher les éclats… parce qu’ils (les éclats) devront rebondir avec une situation de contraste de ces pensées, de ces manières de dire bonjour et de penser à son destin. Complètement imbriqué avec sa terre, et de venir là, au creux de l’occident, avec ses marques et cicatrices visibles et invisibles. Tu as été loin dans tout ça. Le film ouvre à des dimensions bien plus sauvages qu’il faudra assumer. Comme si on étais au creux d’un enfer de l’âme domestiquée. Nous n’avons jamais tellement parlé pour le moment de ce territoire du film, juste toi tu me disais qu’il était dans des zones tellement border-line, et que tu prenais tout ça. Pourquoi, à quel dessein ? celui de ne pas capituler, d’aller jusqu’au bout d’une interrogation qui fout en l’air bien des principes. Geste anarchiste, nihiliste ? Dur à porter. Je cherche là où est le possible d’un dé-cillement. Décillons-nous! Ça pourrait prendre la forme d’un titre, ou plutôt de « la phrase » qui embrase une partie de nous justement, pas que lui, un tout. 

Lo : Oui il y a beaucoup de folie dans Boureima comme dans le geste dans lequel je me mets durement et froidement. Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’était une nécessité violente qui découlait aussi d’une impossibilité de faire autre chose ! Un moment de ma vie et de la sienne qui se rencontrait et où l’on devait marcher ensemble… quelque chose où je pourrai faire l’hypothèse de plein de justification mais aucune ne serait la réelle réalité. 

Il y a quelque chose comme tu dis de plus profond, de plus obscur et pour moi il y a quelque chose du cinéma/de la colère/ de la vie et de la mort… Tout cela est très dur, très froid… 

Tu dis « Pourquoi, à quel dessein? celui de ne pas capituler, d’aller jusqu’au bout d’une interrogation qui fout en l’air bien des principes. »

Oui il y a de cela sûrement…et comment cela s’interroge par le son et le cinéma, pour ouvrir a quoi ? 

Et puis si je ne filmais pas, aurais-je pu rester à côté de lui ? Et à quoi sert le cinéma ? Et quels sont les intentions qui m’ont pétri dans ces gestes ? Et il y a la force de sa posture comme une fascination. Il ne bougeait pas, peu…Et je ne comprenais pas, alors je voulais savoir et chercher a comprendre…mais quoi… Son irrationalité et l’abîme de cette dernière…et la mienne ? 

Caro : Le rapport au film d’Eliane de Latour n’est pas très simple, en tout cas je ne vois pas une remise en cause de son geste à l’orée de 40 ans passés, et d’un revirement de son geste, juste le lien au passé de Boureima et son inscription dans une histoire globale, destin d’un homme relié à l’histoire du monde, nous ne sommes pas isolés des effets du monde, et lui, surtout pas, témoin sur son banc. 

Lo : Non, comme tu le dis cela n’a rien a voir avec Eliane. Oui comme tu le dit, Boureima avait envie de re-voir ces images, de les voir. Moi je voulais l’inscrire dans ces images pour « voir/percevoir » ce qu’il en disait au vu de son présent. Voir l’écart qui pouvait dessiner un chemin ? Il y avait la question de « Boureima, fils d’un Roi », son origine et le lien avec ce banc. Alors tout cela est très léger et peut-être qu’il n’y aura rien a prendre là dedans…Pour cela qu’il faut aller au bout de toute la matière pour faire des hypothèse je penses, et visualiser le chemin qui s’est fait…la trace de ce parcours de 5 ou 6 ans.

 

Carnet de montage 

Jour 10 L’attention à l’immobilisme de Boureima, ou quand il s’étire et que son corps devient encore plus grand… Ses gestes qui racontent ce qu’il vit. Le cadre qui le met en valeur, lui comme un roi au milieu des autres. 

Jour 14 Julie parle de la douceur de Boureima. Me fais penser à Duras que je lis hier.

Pourquoi Anne-Marie Stretter était moins l’objet d’une identification que Lol V. Stein et que le Vice-consul?
D’après moi c’est qu’il y a un subissement de ce qu’on pourrait appeler sa destinée, son destin. Et chez le vice-consul, il y a également quelque chose comme ça, qui fonce dans la nuit et qui ne se connait pas. Tandis que, dans le comportement D’Anne-Marie Stretter, il y a quelque chose d’inimitable, de souverain. Elle porte à être admirée. Elle porte à l’admiration et pas à l’identification. Non pas à la tendresse, je ne vois pas ça. A la passion, mais pas à la tendresse. elle tient tête à tout, Anne-Marie Stretter. Et c’est la seule qui se tue.

Jour 14 Suite. Toujours ce même matin dans l’encadrement de son abri pour la nuit, au matin. Discussion sur le cinéma et la télé, leurs fonctions respectives.
Boureima dit « le cinéma c’est ce qu’on ne voit pas ».
Il range ses affaires et va plonger la tête dans l’eau, au cours de la déambulation il y a des couleurs magnifiques, et lui, fier et imposant qui traverse la ville, comme si elle était petite et soluble face à lui.

Journal de projection

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